Son oeuvre :
- Salons (1846-1859)
- Journaux intimes (1851-1862)
- les Paradis artificiels (1860)
- Curiosités esthétiques (1868)
-L'art romantique(1869)
- Les Fleurs du mal (1857, 101 poèmes-1861, 127 poèmes)
-Le Spleen de Paris (1869)
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Vie de Baudelaire
Charles
Baudelaire est né à Paris le 9 avril 1821. Il avait sept ans lorsque sa mère,
devenue veuve, se remaria avec le général Aupick!; l'enfant n'accepta
jamais cette union. Placé d'abord en pension à Lyon, il étudia ensuite au lycée
Louis-le-Grand à Paris, où il se signala par son indiscipline et d'où il fut
exclu en avril 1839. Après avoir néanmoins obtenu son baccalauréat, Baudelaire
entreprit de mener à Paris une vie d'insouciance et de bohème, tout au moins
jusqu'en 1841, date à laquelle son beau-père, soucieux d'y mettre un terme, le
fit embarquer quasi de force sur le Paquebot-des-Mers-du-Sud, pour un
long voyage à destination des Indes. Ce périple, quoique écourté par le poète - il s'arrêta à l'île
Bourbon (la Réunion) -, ancra profondément chez lui le goût de
l'exotisme, thème très présent dans son œuvre. De ce voyage, Baudelaire
rapporta également les premiers poèmes de son principal recueil, les Fleurs
du mal, notamment le sonnet «!À une dame créole!».
Peu après
son retour en France, en 1842, Baudelaire rencontra Jeanne Duval, dont il fit
la «!Vénus noire!» de son œuvre, l'incarnation de la femme exotique, sensuelle et
dangereuse, et qu'il aima durablement malgré leurs relations orageuses. Cette
liaison n'empêcha pas le poète de s'éprendre de Marie Daubrun en 1847 et de Mme Sabatier en 1852. Il fit
de cette dernière, pour laquelle il éprouva des sentiments tout éthérés, une
figure spirituelle, la «!Muse et la Madone!» des Fleurs du mal.
Le jeune
poète mena alors - grâce à l'héritage paternel reçu à sa majorité,
en 1842 - une vie de dandy et d'esthète!; à cette époque, il fit
l'acquisition de coûteuses œuvres d'art et expérimenta les «!paradis artificiels!» de l'opium et de
l'alcool. Son train de vie ne tarda pas à écorner son héritage : pour éviter la
dilapidation de sa fortune, son beau-père et sa mère le firent placer sous tutelle
judiciaire. Le jeune poète souffrit dès lors de ne pouvoir disposer librement
de son bien, et dut travailler pour vivre.
C'est poussé
par le besoin d'argent qu'il se lança dans la critique d'art (Salon de 1845,
Salon de 1846, Salon de 1859) et qu'il publia dans diverses revues sous le
nom de Baudelaire-Dufaÿs : il fit paraître de la sorte des poèmes qui
figureront plus tard dans les Fleurs du mal, mais aussi des essais
littéraires et esthétiques, ainsi qu'une nouvelle, la Fanfarlo (1847).
En 1848, il commença à traduire les œuvres de l'auteur américain Edgar Allan
Poe. Baudelaire n'eut aucun mal à s'identifier à cet écrivain tourmenté, en qui
il voyait un double de lui-même («!Edgar Poe, sa vie et ses œuvres!», l'Art romantique).
Ses traductions de Poe font encore référence aujourd'hui!; il fit paraître
successivement Contes extraordinaires (1854), Histoires
extraordinaires (1856), Nouvelles Histoires extraordinaires (1857), les
Aventures d'Arthur Gordon Pym (1858), et acheva la traduction des Histoires
grotesques et sérieuses en 1865.
En juin
1857, Baudelaire fit paraître, chez son ami et éditeur Poulet-Malassis, le
recueil les Fleurs du mal, qui regroupait des poèmes déjà publiés en
revue et des inédits. Mais, dès le mois d'août, il se vit intenter un procès
pour «!outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs!» (la même année, Madame
Bovary, de Flaubert, connut un sort identique, mais le romancier put
profiter d'un succès de scandale, ce qui ne fut pas le cas de Baudelaire).
Condamné à une forte amende, le poète, très abattu par la sentence, dut en
outre retrancher six poèmes de son recueil.
Après le
scandale des Fleurs du mal, Baudelaire, toujours criblé de dettes,
continua de publier en revue ses textes critiques et ses traductions de Poe,
auxquels vinrent s'ajouter bientôt les poèmes en prose qui seront regroupés et
publiés dans leur forme définitive après sa mort, sous le titre les Petits
Poèmes en prose ou le Spleen de Paris (posthume, 1869). Les
Petits Poèmes en prose sont le pendant des Fleurs du mal, dont ils
reprennent la thématique, mais cette fois dans une prose poétique, sensuelle,
étonnamment musicale (certains poèmes des Fleurs du mal y sont même
repris en écho, sous un titre identique). Le poème en prose était alors un
genre nouveau, et Baudelaire avait pris pour modèle Aloysius Bertrand,
précurseur du genre avec Gaspard de la nuit (1842).
Au printemps
1866, pendant un séjour en Belgique, où il était venu faire un cycle de
conférences qui se révéla décevant, Baudelaire, déjà très malade, eut un grave
malaise à Namur. Les conséquences furent irrémédiables : atteint de paralysie
et d'aphasie, le poète fut ramené à Paris en juillet. Il y mourut un an plus
tard, le 31 août 1867.
Les Fleurs du mal
Ce recueil
de poèmes est l'œuvre maîtresse de Baudelaire.
Dans sa
version la plus aboutie, il est composé de six parties : «!Spleen et Idéal!» (poèmes I à LXXXV), puis «!Tableaux parisiens!» (poèmes LXXXVI à CIII), «!le Vin!» (poèmes CIV à CVIII), «!Fleurs du mal!» (poèmes CIX à CXVII), «!Révolte!» (poèmes CXVIII à CXX) et «!la Mort!» (poèmes CXXI à CXXVI), qui font
la synthèse entre le courant romantique (le lyrisme) et le formalisme (la
recherche maîtrisée de la perfection formelle).
Modernité des Fleurs du mal
Le titre des
Fleurs du mal pose d'emblée les marques d'une esthétique nouvelle, «!moderne!», où la beauté, le
sublime (que désigne le terme de «!fleur!») peuvent, grâce au langage poétique, surgir
des réalités triviales de la nature et de la chair (le «!mal!»).
Avec cette
matière en guise d'inspiration, alliée à un travail méticuleux sur le langage
poétique (utilisation de formes traditionnelles comme le sonnet, et de vers
classiques, comme l'alexandrin), Baudelaire révolutionnait l'univers esthétique
en prenant non seulement le contrepied de la tradition selon laquelle l'œuvre
d'art était d'autant plus admirable que le sujet en était noble, mais surtout
en réalisant la synthèse entre deux choix esthétiques jusque-là inconciliables : le lyrisme romantique
et le souci formel.
Thématique des Fleurs du mal
La partie «!Spleen et Idéal!» (titre qui prolonge
l'ambivalence du titre générique) met en scène le «!spleen!», c'est-à-dire l'ennui
(au sens d'angoisse métaphysique), dont souffre le poète, et son aspiration
vers un «!idéal!», infini sublime où règne la plénitude de l'être. Spleen
est un mot anglais qui désigne la rate : en effet, on croyait
autrefois, selon la théorie des humeurs d'Hippocrate, que le sentiment de
mélancolie était d'origine physiologique et, plus précisément, qu'il venait de
la bile noire sécrétée par la rate. Le mot «!spleen!» traduit donc chez Baudelaire l'ennui et le
dégoût généralisé de la vie.
La même
thématique ambivalente alimente la totalité du recueil des Fleurs du mal
et lui donne sa dynamique conflictuelle. Le poète y exprime les tourments de sa
propre âme, écartelée entre le sublime et le sordide, tiraillée entre une
double aspiration vers Dieu et vers Satan. À partir de son expérience
personnelle, il traite ainsi du conflit éternel entre l'esprit et la chair,
l'ailleurs et l'ici-bas.
Poétique baudelairienne
Pour
échapper au spleen, le poète a recours au langage poétique, qui seul a la
capacité de donner sens et de transmuer les réalités les plus banales et les
plus viles. Le langage peut aussi métamorphoser l'amour : il transfigure la
passion sensuelle du poète pour Jeanne Duval («!Parfum exotique!», «!la Chevelure!», etc.) comme son amour
éthéré pour Mme Sabatier («!l'Aube spirituelle!», «!Invitation au voyage!», etc.).
Le sonnet «!Correspondances!», qui est une sorte
d'art poétique baudelairien, montre que, chez cet auteur, les images ne sont
pas seulement des symboles conventionnels, mais révèlent un rapport absolu
entre les choses et leur signification : c'est la loi de l'«!analogie universelle
!».
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Dans un univers
confus, indéchiffrable au commun des mortels, seul le poète, grâce à son
imagination - cette «!reine des facultés!» qui est capacité à
créer des images - peut faire surgir le sens en faisant
correspondre ce qui est disparate et morcelé : «!La Nature est un temple
où de vivants piliers!/!Laissent parfois sortir de confuses paroles!;!/!L'homme y passe à
travers des forêts de symboles!/!Qui l'observent avec des regards familiers.!» («!Correspondances!», les Fleurs du mal, IV). Les mots revêtent
un caractère proprement magique, et l'écriture devient une «!sorcellerie évocatoire!». Annonciateur de Rimbaud,
Baudelaire se voit comme un «!alchimiste du Verbe!», capable de transmuer la «!boue!» en «!or!».
Cheminement des Fleurs du mal
Le
cheminement des Fleurs du mal ne permet pourtant pas, semble-t-il, de
vaincre le spleen, ce sentiment qui écrase le poète. Les différentes
expériences, qui sont autant d'étapes dans le recueil, se révèlent sans réelle
issue : la grande ville des «!Tableaux parisiens!» est pleine de dangers
et de tentations, les paradis artificiels de la drogue ou de l'alcool («!le Vin!»), comme l'amour et la
volupté («!Fleurs du mal!»), sont décevants et asservissent l'âme. Après une brève
tentative de «!Révolte!», que le poète veut universelle, le recueil débouche sur la «!Mort!», ce qui paraît
confirmer l'échec du projet poétique. Cependant, c'est dans la mort que
Baudelaire trouve un ultime moyen de résoudre la contradiction du Bien et du
Mal : la mort est alors envisagée non comme une fin mais comme un
passage vers un univers réconcilié, où le poète est avide de découvrir un monde
nouveau, encore inconnu. Ce point de vue explique sans doute la sensualité
donnée au thème macabre dans le célèbre poème «!la Mort des amants!».
Le recueil
se termine en outre par ces vers significatifs : «!Plonger au fond du
gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe!?!/!Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau!!!» («!le Voyage!», les Fleurs du mal, CXXVI).
L'œuvre critique
L'Art
romantique (posthume, 1869) regroupe l'ensemble des textes que Baudelaire
consacra à la vie littéraire de son temps et aux grands auteurs dont il se
sentait proche. Les textes les plus importants de ce recueil sont consacrés à Edgar
Poe, à Théophile Gautier, à Madame Bovary de Flaubert, et aux Misérables
de Victor Hugo.
Les textes
de critique d'art de Baudelaire furent réunis et publiés en 1868 sous le titre Curiosités
esthétiques. Ce recueil regroupe essentiellement les comptes rendus des
Salons de 1845, de 1846 et de 1859, celui de l'Exposition universelle de 1855,
mais aussi un texte important sur Constantin Guys, le Peintre de la vie
moderne, et plusieurs essais sur la vie et l'œuvre d'Eugène Delacroix. Ce à
quoi il faut ajouter des essais variés, consacrés notamment aux aquafortistes,
à la caricature et plus généralement au comique dans les arts.
Il existe
une grande cohérence entre l'œuvre de Baudelaire poète et l'œuvre de Baudelaire
critique d'art. Il s'illustra dans l'un et l'autre genre avec la même audace
puisque, en art comme en poésie, il érigea sa propre esthétique : le surnaturalisme, qui
alliait le bizarre et la modernité.
Mode et modernité dans l'art
Baudelaire
se fit, en art comme en poésie, le chantre de la modernité. Dans le Peintre
de la vie moderne, il écrivait à propos de Constantin Guys : «!Il s'agit, pour lui, de
dégager de la mode ce qu'elle peut contenir de poétique dans l'historique, de
tirer l'éternel du transitoire. […] La modernité, c'est le
transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l'art, dont l'autre moitié
est l'éternel et l'immuable.!»
Par
modernité, il entendait donc l'adéquation de l'œuvre d'art à son temps : une toile, selon lui,
devait exprimer son époque, et pour ce faire la représenter dans sa
particularité éphémère. C'est ce qu'il aimait dans les lavis et les dessins à
la plume de Constantin Guys, qui croquait pour la presse des silhouettes et des
scènes de la vie contemporaine, célébrant ainsi l'«!héroïsme de la vie
moderne!».
Cette double
nature du Beau, défini comme la synthèse de la modernité (du transitoire) et de
l'immuable (la perfection formelle), empêchait Baudelaire de se laisser séduire
par les modes éphémères, mais aussi d'établir des critères purement formels,
susceptibles de le conduire à célébrer un art d'une froide perfection, dénué
d'émotion.
Baudelaire
se montra d'ailleurs un critique clairvoyant : s'il fut naturellement
réticent à l'égard des peintres officiels, il ne fut pas davantage pris au piège
de sa sensibilité romantique : c'est ce qui lui permit, par exemple, d'être
sévère à l'égard du peintre romantique Ary Scheffer, «!singe du sentiment!», dont le coup de
pinceau restait en réalité très académique (Salon de 1846). A contrario,
ses opinions nuancées sur certaines toiles d'Ingres, peintre pourtant
académique et néoclassique, montrent à quel point Baudelaire se situait au-delà
des querelles d'école.
Le bizarre
Le bizarre
est l'autre versant du «!surnaturalisme!» baudelairien. Selon Baudelaire, en effet, le Beau «!contient toujours un peu
de bizarrerie, de bizarrerie naïve, non voulue, inconsciente, et […] c'est cette bizarrerie
qui le fait être particulièrement beau!» (Exposition universelle de 1855).
Or, la
caricature est pour Baudelaire l'une des manifestations les plus intéressantes
du «!bizarre!» : admirateur de Daumier, il alla jusqu'à ériger
en principe esthétique général l'idée d'excès ou d'exagération, qui est en
usage de façon systématique dans la caricature. L'excès ou, pour être plus
précis, les déformations anatomiques faisaient, selon lui, toute la beauté de
certaines toiles et toute la grâce de certains personnages d'Ingres, comme
cette Odalisque dotée d'un trop grand nombre de vertèbres, lui conférant
une silhouette anormalement longue et sinueuse. Cette liberté du peintre à
l'égard du modèle fourni par la nature séduisait Baudelaire, qui ne se lassait
pas de la louer comme une «!tricherie heureuse!» (Exposition universelle de 1855).
Pour
Baudelaire, l'exagération caractérisait pareillement les eaux-fortes de Goya
intitulées les Caprices (mais son propos peut s'appliquer également aux Désastres
de la guerre) : ces visages blafards et fuyants surgis de
l'ombre, ces masques grotesques ou animaliers, exprimaient à la perfection des
sentiments extrêmes comme la peur, la haine ou l'horreur. Baudelaire
considérait d'ailleurs Goya comme un caricaturiste, mais un caricaturiste «!artistique!», par opposition au
caricaturiste «!historique!», le premier étant susceptible de produire un «!comique éternel!» quand le second ne
donne qu'un «!comique fugitif!» (Quelques caricaturistes étrangers).
Baudelaire
admirait aussi chez Delacroix (lui-même disciple de Goya) l'apparence
inachevée, et d'autant plus expressive, de ses scènes de chasse : ce peintre ne se
contente pas de reproduire fidèlement les images que lui procure le réel, mais
s'attache à l'expression, au détriment de la précision du trait : c'est ainsi qu'il
parvient à restituer la vérité des choses au-delà de leurs apparences.
Cependant, chez ces trois peintres, l'accentuation du trait, la «!caricature!» n'est naturellement
pas faite pour provoquer le rire ni dénoncer les ridicules de la bourgeoisie,
comme c'est le cas chez Daumier!; en revanche, elle est porteuse du sens et de l'émotion des
œuvres, et c'est en cela qu'elle est le véhicule privilégié de la vraie beauté.
Pour la
nouveauté de son approche et la modernité de son esthétique, Baudelaire reste
un nom important dans l'histoire de la critique d'art.
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